Par Alexis Rulisa*, Leon Mutesa*

*Projet visant à éliminer le paludisme (projet MEPR) à Ruhuha, Kigali, Rwanda

Les activités économiques peuvent entraîner des externalités négatives pour la santé publique. Le cas de la culture du riz dans l’Est du Rwanda en est un exemple puisqu’en plus de générer des revenus financiers et d’améliorer les normes nutritionnelles de la localité, cette production crée des gîtes potentiels de reproduction pour les moustiques vecteurs du paludisme et ainsi, participe à l’augmentation du risque de la maladie (figure 1). Jusqu’à présent, aucune des interventions qui ont fait leurs preuves dans la lutte contre les gîtes potentiels de reproduction des moustiques induits par la production de riz n’a encore été mise en œuvre dans Ruhuha. C’est ainsi que le projet a décidé d'utiliser les fonds externes pour soutenir une intervention de larvicides utilisant la bactérie Bacillus thuringiensis israelensis (Bti), mais pour une seule saison de culture du riz (un semestre).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les interventions futures dépendront donc de la participation financière des producteurs de riz et de la communauté. La première étude vise donc à évaluer les impacts de la culture du riz sur le risque palustre alors que la deuxième étude, menée avant l'application de l’intervention Bti, vise à évaluer la mobilisation des ressources des producteurs pour les traitements de larvicides.

Ainsi, entre juin et décembre 2013, une enquête à grande échelle a été menée auprès de plus de 4000 ménages dans la région. Des données sur les caractéristiques démographiques des ménages, la situation économique, les efforts pour prévenir le paludisme ainsi que sur les comportements favorables à la santé (demandes de soins) ont été recueillies. Tous les membres des ménages ont également été testés pour la parasitémie palustre et l'anémie. De plus, une évaluation de la malnutrition a été réalisée pour les enfants de moins de cinq ans.

Pour évaluer la mobilisation des ressources pour lutter à l’élimination du paludisme, une étude transversale a été réalisée en janvier 2015. Pour participer à cette étude, 320 personnes ont été choisies au hasard parmi 1 914 riziculteurs organisés en quatre coopératives. La volonté maximale à payer a été estimée à travers un exercice d'évaluation contingente en utilisant la «méthode des enchères».
Nos résultats démontrent que la culture du riz est positivement et significativement associée à la richesse, à la sécurité alimentaire, à l’assurance de santé et à la protection contre le paludisme des ménages. Il est aussi confirmé que les pratiques de culture du riz augmentent les risques de transmission du paludisme via un accroissement des populations de moustiques. Pour ce qui est de la mobilisation des ressources, la volonté maximale à payer (VMP) était de 2,2$US par producteur par saison. La VMP médiane révèle que 50% des participants étaient prêts à payer au moins 1,4$US.

Encore une fois, nos résultats ont montré que la proportion des ménages qui a déclaré que le riz était leur culture la plus importante était de 8,1%. Cependant, il est intéressant de noter qu’il y avait plusieurs autres ménages, qui étaient impliqués dans la culture du riz, mais qui possédaient aussi d’autres cultures de plus grande importance pour eux. Les haricots (77,5%) et du manioc (69,4%) ont été désignés comme les plus importants produits cultivés.  

Il a également été découvert que la culture du riz est positivement et significativement associée à de meilleurs niveaux de vie principalement en raison des revenus générés par cette activité. Les producteurs de riz étaient 3,5 fois plus susceptibles de présenter un niveau de vie supérieur à la normale, comparativement à leurs voisins qui ne cultivaient pas le riz.

La culture du riz joue un rôle crucial pour les familles puisque les agriculteurs conservent 20% de leur production pour consommer à la maison et vendent le 80% restant. Cela a permis d’améliorer la sécurité alimentaire et l’état nutritionnel des familles puisque l’apport en nutriments augmente par conséquent. Ils peuvent également économiser l’argent qu’ils auraient dépensé pour acheter du riz et subvenir ainsi à d’autres besoins de la famille. De plus, avec les revenus générés par le riz, ils peuvent acheter d’autres denrées alimentaires de sorte à ce que la famille puisse bénéficier d’une alimentation équilibrée.

Les résultats préliminaires de ce projet en cours indiquent que le risque palustre était significativement 2 fois plus élevé pour les agriculteurs qui ne cultivaient pas de riz que leurs voisins producteurs. Cela témoigne de l’effet protecteur contre le paludisme que la culture du riz a sur les agricultures puisqu’ils ont de meilleures conditions de vie, incluant une maison avec un toit, un plancher et des murs, ce qui assure une meilleure protection contre les moustiques. Ils sont également en mesure de payer de la main-d’œuvre pour éliminer les gîtes potentiels de reproduction péri-domestiques de moustiques, d’acquérir et d’utiliser des moustiquaires supplémentaires et d’adhérer à des régimes d’assurance-maladie.

Ces résultats révèlent également que le risque palustre est plus important dans les villages situés près des marais où le riz est cultivé.  Plus un village se trouve à proximité, plus la prévalence du paludisme est élevée. Les populations qui vivent près de ces marais sont donc plus affectées par la paludisme, car elles ne possèdent pas ou n’utilisent pas de méthodes de prévention contre la maladie.

En conclusion, la culture du riz mène à plusieurs bénéfices privés économiquement parlant qui impactent également le domaine de la santé. Cependant, ils créent par le fait même un risque pour la santé publique.  En conséquence, l’hypothèse du «paradoxe du Paddy» est confirmée au niveau des ménages producteurs de riz, mais infirmée au niveau de la communauté au sens large. Ainsi, des stratégies se doivent d’être développées afin d’exploiter les bénéfices privés de la culture du riz et de les réorienter afin de financer des actions collectives de lutte antipaludique.

Bien que l’acceptabilité de l’intervention de larvicides Bti apparaît plutôt élevée puisque la volonté d’investir du temps de travail (non-compensé) dans l’application de Bti est présente lorsqu’elle est reconnue comme une méthode efficace pour réduire l’incidence du paludisme, la VMP rapportée ne peut seulement couvrir qu’un quart (1/4) du coût total de l’intervention (9$US comme somme forfaitaire / 1,8$US par acre). Pour combler ce fossé, des modèles de financement doivent être pensés et mis sur pied pour soutenir les producteurs de riz et de leur communauté afin de permettre la durabilité de l’intervention.

Traduction libre par Esther Mc Sween-Cadieux

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